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International 2 septembre 2022

L’Europe dans un monde de ruptures, réflexions géopolitiques menées par Jean-Pierre Raffarin

Comme chaque année depuis 16 ans, fin août, le colloque de géopolitique organisé par Jean-Pierre Raffarin et sa Fondation Prospective et Innovation, au Palais des Congrès du Futuroscope, éclaire nos esprits sur la situation mondiale grâce à l’expertise d’invités de renom.
Cette année, plus que les précédentes, sans doute, cette vision s’avérait utile avec le thème choisi de « l’Europe dans un monde de ruptures »
Grand témoin de cette édition, Rachel Khan, juriste, éditorialiste, comme un symbole, « je suis le fruit de la rupture du monde, mère juif polonaise, cachée à Montmorillon pendant la guerre… père Africain... » Dans un contexte grave, elle rappelle l’évidence : « Pour affronter les bouleversements, il faut être en relation, pas en affrontement. »

En ouverture, le témoignage de Tertius Zongo, ancien premier ministre du Burkina Faso, sur la situation en Afrique mettant l’accent sur les difficultés économiques qui alimentent souvent le terrorisme, le danger de l’inaction, engendrant une certaine violence. « Soyons plus ouverts, menons une réflexion collective et agissons ensemble pour obtenir des résultats harmonieux. »
Concernant les relations entre la Chine et l’Afrique, « la Chine travaille de façon très pragmatique, en partant du terrain pour construire une coopération avec l’Afrique sans ingérence. L’Europe doit se débarrasser de ce sentiment de culpabilité au regard de la colonisation pour aborder une nouvelle relation avec l’Afrique. Elle sera alors un pont au milieu du rapport de force Chine / Etats-Unis. »

Rachel Khan, grand témoin de ce 16e Forum

Jean-Marie Guéhenno, diplomate français, spécialiste notamment des questions internationales, a souligné qu’après 1989, « nous avons continué à percevoir l’Europe comme un bouclier contre une guerre entre ses membres. Nous payons le prix de notre manque d’ouverture. Les individus redécouvrent aujourd’hui la nécessité du collectif pour faire face aux défis mais dans le même temps font le constat de l’incapacité du pouvoir politique à répondre de façon prospective à ces enjeux. Cette vision laisse une belle place aux extrêmes. » L’expert n’a pas manqué de dénoncer la « fausse démocratie » représentée sur les réseaux sociaux ainsi que le risque lié à la collecte des données.

Jean-Louis Bourlanges, député Modem, président de la Commission des affaires étrangères, a adressé un témoignage en video : « nous assistons à une véritable mutation de la politique. Nous sommes dans une situation inconfortable, entre un passé qui ne nous porte plus et un avenir que nous ne dessinons pas encore, d’où une perte de sens, de repères, et donc une source d’angoisses. Ajouter à cela la perte de poids du modèle occidental sur la scène internationale, un effondrement cognitif face au règne de l’immédiateté et la perte de la domination de l’homme, autant de facteurs de déstabilisation. »

Fabienne Keller, qui fut maire de Strasbourg et est aujourd’hui Eurodéputée (Renew) a évoqué cette formidable « Tour de Babel » à 27 qu’est le Parlement européen. « Certains pays membres sont des démocraties illibérales comme la Hongrie où la presse est contrôlée. La situation de la Pologne peut être considérée comme inquiétante avec la suspension d’un certain nombre de juges. La coalition d’extrême droite en Italie est aussi préoccupante. Au gré des élections dans les pays, l’Europe évolue. Elle fait face au défi migratoire, au choc des cultures européennes. La richesse de l’Europe c’est aussi la curiosité d’aller découvrir d’autres cultures, d’autres enjeux. » Fabienne Keller a bien entendu relaté ses échanges avec ceux qui gèrent les migrations, notamment suite à la guerre en Ukraine. Les questions de défense apparaissent alors. « L’Europe est dans un monde de ruptures. La situation aux Etats-Unis avec un recul des droits (IVG), des élections à venir qui pourraient déstabiliser Joe Biden. La progression des régimes islamistes comme celui des Talibans, du Sahel. L’économie en Turquie qui va mal. Face à cela, les institutions européennes sont solides et efficaces. J’ai foi en l’Europe, en ses capacités à s’adapter. Ne critiquons pas l’Europe, changeons-la ! »

Un trait d’humour entre deux sujets graves ! Avec le sourire de Fabienne Keller et le sérieux de Jean-Marie Guéhenno

Question de Jean-Pierre Raffarin au sujet de la guerre en Ukraine : « Vus les enjeux économiques agricoles, énergétiques pour les Etats-Unis, n’ont ils pas intérêt à ce que ce conflit perdure ? »
Jean-Marie Guéhennot répond que « pour les Etats-Unis, la Russie, c’est un problème d’hier, celui d’aujourd’hui, la priorité, c’est la Chine. Ils voient que l’Europe est suffisamment solide pour se défendre. Malgré tout, la volonté des américains est de conserver un certain contrôle.  »

Une puissance européenne à affirmer ?

Pour Fabienne Keller « quand il s’agit de diplomatie, on a une voix externe : Josep Borrell (représentant de l’UE pour les relations extérieures) et 27 diplomaties … autant dire que c’est compliqué ! Néanmoins, il y a une idée : 2 Etats, qui pour chaque question, pourraient prendre mandat au nom de tous. »

Concernant l’enjeu climatique et donc les Accords de Paris, Jean-Pierre Raffarin souligne que ces grandes thématiques qui rassemblent pourraient être abordées avec force par l’Europe, lui donnant ainsi un poids important. « L’Europe a intérêt à dialoguer avec les Etats, les grandes entreprises, pour faire avancer les normes, notamment  » abondait Jean-Marie Guéhennot.

Fabienne Keller rappelle la force de l’axe franco-allemand, surtout face à la guerre en l’Ukraine, sujet sur lequel l’Histoire ne place pas les deux pays dans la même logique. Elle a évoqué aussi la position avancée de l’Europe sur les questions de plateformes numériques, leur encadrement, surtout sur les questions de protection des données, de messages haineux.

« Si les peuples s’éloignent de la politique, ne se rapprochent-ils pas de la violence ? » Matière à réflexion cette question de Jean-Pierre Raffarin à l’issue de cette matinée.

Sur le volet économique, Denis Ranque, président de l’Académie des Technologies, ancien dirigeant de Thales, a mis en relation le progrès technologique et le développement mais tout en relativisant avec l’exemple des mouvements sociaux incontrôlés à l’image de Facebook qui aurait modifié son algorithme au moment de la prise du Capitole. « La technologie nous a maintenus en paix depuis 80 ans, aujourd’hui, c’est un objet de convoitise, mais aussi de défiance. »
« La mondialisation a permis la diffusion rapide d’un virus, mais aussi de trouver et de diffuser de façon inédite et en un temps record un vaccin.
L’Europe, qui pèse à hauteur de 20% du PIB mondial, héberge 28% des chercheurs mais chute à 14% quand il s’agit de déposer des brevets. L’Europe a créé un marché intérieur qui est un vrai atout dont nous n’avons pas pleinement conscience. Toutefois, ce marché n’est pas homogène dans des domaines régulés comme les télécoms, la défense par exemple.
On peut regretter la quasi absence de champions industriels en Europe, la difficulté à faire émerger de grands projets. La valeur relative de la formation, notamment des mathématiques, en décroissance en Europe, est regrettable pour l’avenir, la recherche… Il est important que l’Europe reste dans la course, même si elle n’est pas en tête.
 »

Patrick Brandmaier, directeur général de la Chambre de commerce Franco-Allemande, a rappelé les bonnes relations Franco-Allemandes. « 164 milliards d’euros de commerce ensemble soit l’équivalent à peu de choses près du niveau d’avant crise. L’Allemagne est le 1er client et aussi le 1er fournisseur de la France. Environ 2500 entreprises et 640.000 employés de part et d’autre du Rhin en commun. En 2021, en nombre de projets, l’Allemagne est devenu le 1er investisseur en France qui, depuis 2017, a renforcé son attractivité. France et Allemagne pèsent aujourd’hui 40% du PIB européen.  »

Catherine Lubochinky, professeure, membre du Cercle des économistes, a souhaité mettre l’accent sur les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui représentent un quart du PIB mondial et s’organisent actuellement pour faire face au G7. « Il faut face à eux un bloc soudé en Europe. La création d’une cryptomonnaie commune est en gestation au sein de cet ensemble dont la puissance n’est surtout pas à négliger. »

Sumeet Anand, président de la CCI Franco-Indienne, a évoqué la 5e économie mondiale, qui devrait tripler dans les années à venir (croissance supérieure à celle de la Chine), avec une population la plus jeune. « L’Inde c’est comme l’Europe, avec une diversité bien réelle, multiculturelle, multi-religieuse, pays de débats, de démocratie chaotique certes, mais pérenne.  »

Question de Jean-Pierre Raffarin : « Face à tous ces équilibres, quel positionnement pour la France ? »

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, sur le conflit Ukrainien, juge que le premier perdant est la Russie. « Cette guerre est contre ses intérêts. Depuis le 24 février, la Russie est en déclin. Les sanctions lui feront du mal à moyen, long terme. Ce qui lui fera le plus mal, c’est la fuite des cerveaux et les médias n’en parlent pas assez. La censure - on ne peut pas utiliser le terme de guerre - fera fuir universitaires, chercheurs, auteurs. Il faut revenir à Staline pour voir aussi peu de relations entre la Russie et le monde occidental. La grande erreur que font les occidentaux, c’est de penser que cet isolement est mondial… ce qui est faux. Il n’y a que l’Occident qui a pris des sanctions.
En même temps, l’Ukraine a accueilli un statut qu’elle n’avait pas avant et on a oublié tout ce que l’on disait avant : pays de corruption…. Il ne faut pas que l’émotion l’emporte sur la raison. L’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne serait une mauvaise chose. Aujourd’hui, ce n’est plus l’OTAN, mais le projet d’autonomie stratégique européenne qui est en état de mort cérébrale.
C’est difficile, mais il faut continuer à réfléchir tout en ne stigmatisant pas la Chine avec qui nous avons des divergences mais qui n’est pas l’ennemi. Nous ne sommes plus le monde, le monde occidental n’est plus le monde ! Si nous ne le prenons pas en compte, le déclin sera notre avenir.
 »

« La Paix, comme la guerre, c’est un travail ! » rappelle Jean-Pierre Raffarin en déplorant qu’aujourd’hui on travaille plus à la guerre et qu’une guerre commence souvent par une maladresse…

Jean-Pierre Raffarin, Joachim Bitterlich et Pascal Boniface

Joachim Bitterlich, ancien ambassadeur, ancien conseiller diplomatique du Chancelier Kohl. « Je suis ravi de revenir ici au Futuroscope 25 ans après un sommet Franco-Allemand. Nous devons revoir nos relations avec les Etats-Unis, mettre à profit la présence de Biden ! Ne pas négliger les relations avec la Chine, nous tourner vers l’Afrique en ayant bien en tête que notre modèle politique n’est pas exportable. Revenir au multilatéralisme. Que faire avec les Balkans, développer un plan réaliste pour les intégrer ? Quelle est notre conception d’une Union européenne efficace ? Nous la gérons comme si nous étions une dizaine, mais demain si nous sommes 30, saurons-nous faire ? Développons nos politiques vis à vis de la Russie : Poutine ne sera pas éternellement là. Idem avec la Turquie, les associer à la politique étrangère et les intégrer à un marché intérieur. Nous sommes prisonniers du conflit israélo-palestinien pour notre politique en Afrique. Je suis préoccupé par l’état réel de la relation entre la France et l’Allemagne.
Ressaisissons-nous !
 »

Janos Martonyi, ancien ministre des affaires étrangères de Hongrie quant à lui ne voit pas un nouvel ordre mondial émerger mais plutôt la continuité. « Il n’y a pas de hiérarchie claire entre les pays, selon les critères, le classement évolue. La solution, c’est l’équilibre et pour y parvenir, il faut à l’Europe une force qu’elle n’a pas aujourd’hui. Nous devons retrouver l’âme de l’Europe, la force morale, spirituelle et pour cela il faut du respect, de la tolérance dans la diversité. Les divergences qui existent et sont légitimes ne doivent pas devenir des clivages, synonymes de ruptures. La force immatérielle davantage que la force matérielle. Facile à dire ! Mais je reste optimiste. »

Jean-Pierre Raffarin ajoute : « Aujourd’hui, sommes-nous capables de débattre ? Les convictions ont-elles laissé la place aux intérêts ? Quand je vois aujourd’hui les réactions à l’Assemblée nationale sur un mot, bien loin de l’intérêt général, je m’interroge. »

« Avoir en tête que c’est dans le vide de la pensée que naît le mal. » Rachel KHAN. « La notion de souveraineté solidaire est la clé. »

André Chieng, vice-président du Comité France-Chine, a, comme à l’habitude, accepté de conclure ce colloque : « Jamais la Chine n’a eu aussi mauvaise presse. Pourtant, la Chine ne cherche pas à détrôner les Etats-Unis. L’armée chinoise n’est plus sortie de ses frontières depuis la guerre du Vietnam en 1979 ! La Chine n’a jamais parlé de modèle chinois... Mais les USA sous-estiment le désir de réunification de la Chine. Pour la Chine, l’unité est source de paix... et Taïwan fait partie de cette unité. »

Encore une fois, la richesse des interventions nous conduit à regretter que ce colloque n’ait lieu qu’une fois par an !

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CR



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