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Consommation 24 juillet 2015

Les compteurs intelligents ne serviront pas immédiatement les intérêts du consommateur

La loi de transition énergétique a été votée mercredi. L’une de ses dispositions prévoit la généralisation des compteurs intelligents (35 millions de compteurs à remplacer) dont le modèle le plus connu est certainement le « Linky » avec notamment pour objectif affiché de « responsabiliser les consommateurs en leur permettant de suivre leur consommation en temps réel. »
Ces compteurs ont fait l’objet d’une levée de boucliers de la part de plusieurs associations de consommateurs. UFC Que Choisir a même fait un recours auprès du Conseil d’Etat, sans succès. Pour y voir plus clair, nous avons interrogé Stéphane Gautreau, enseignant en BTS électrotechnique au Lycée Bernard Palissy de Saintes et Thierry Bonet directeur projet à Geredis en Deux-Sèvres.

Les compteurs intelligents émettraient des ondes néfastes pour la santé ?

Stéphane Gautreau : « ce compteur intelligent est connecté par CPL : Courant Porteur en Ligne. La tension électrique qu’il va générer se superpose au réseau de 50 hertz. Ces ondes filaires sont infiniment moins rayonnantes que le wifi ou celles émises par les téléphones mobiles. Le CPL est un courant qui transporte des informations, pas de l’énergie. Des antennes relais vont être implantées dans les postes sources (concentrateurs) pour transmettre les données via réseau GPRS vers un lieu national de collecte mais l’impact sera là encore négligeable par rapport aux ondes des antennes de téléphonie mobile.
Par contre, des compteurs intelligents sont également en projet pour remplacer nos vieux compteurs d’eau. Là pas de CPL, la transmission des informations risque d’émettre des ondes tout aussi négatives que le wifi ou les antennes relais. »

Y a t’il un risque de sinistre si on implante un compteur intelligent sur une installation électrique ancienne ?

Stéphane Gautreau : « Il y a 40 ans, beaucoup d’équipements ménagers étaient à résistance, avec un courant sinusoïdal. Aujourd’hui, téléviseur, lave-linge, ordinateur absorbent un courant à spectre très large qui crée des champs électromagnétiques. Le risque de surchauffe est donc plus important avec un lave-linge récent sur une installation ancienne qu’avec un compteur intelligent connecté via CPL. »

Avec le compteur intelligent, la facture va augmenter ?

Stéphane Gautreau : « Historiquement, l’énergie mesurée par les compteurs électriques c’est l’énergie active. Cette énergie est celle qui est absorbée par des équipements à résistance. Or, ces dernières années, sont apparus les lampes fluo-compactes, les ordinateurs… qui sont alimentés par une énergie dont une part non négligeable est réactive. Celle-ci est donc aujourd’hui consommée dans tous les foyers mais pas facturée !
On peut légitimement penser qu’une fois que tous les foyers seront équipés de compteurs intelligents, les contrats seront modifiés et la facturation sera établie sur l’énergie apparente consommée (énergie active + réactive).
D’autre part, actuellement dans votre facture d’électricité, il y a une ligne qui concerne une « taxe ERDF ou part acheminement ». Pour compenser l’installation de ces compteurs intelligents (estimée à 200 voire 300 euros l’unité), il y a fort à parier que cette taxe va augmenter fortement dans les années à venir. »
Thierry Bonet : « Ces nouveaux compteurs vont aussi corriger des dérives constatées sur les compteurs de l’ancienne génération, ça peut aussi être favorable dans certains cas. En tout cas ce sera beaucoup plus fiable et la consommation réelle sera facturée, on ne parlera plus d’estimation et on évitera les erreurs. »

Le compteur intelligent ne va pas forcément conduire à moins consommer ?

Stéphane Gautreau : « sur les compteurs actuels, chacun peut suivre sa consommation en temps réel en watts. Avec les compteurs intelligents, le suivi sera malheureusement à deux vitesses. Lorsque le compteur est implanté dans l’habitation du consommateur, il disposera d’un affichage de sa consommation (la moitié des installations). Par contre, dans les immeubles collectifs ou dans certaines installations, le compteur est en limite de propriété ou dans la cage d’escalier. Là, il faudra se déplacer pour prendre connaissance de sa consommation (sauf à s’acquitter d’une option à 3 voire 6€ par mois pour avoir un écran de contrôle dans l’habitation). Ce cas de figure représente l’autre moitié des installations.

Les smart grids ou réseaux intelligents c’est l’avenir pour les réseaux électriques. Depuis 30 ans au moins ont été mis en place des contrats spécifiques où on incite les consommateurs 21 jours par an à couper les charges électriques fortes. Si aujourd’hui le consommateur est averti de l’entrée en période rouge et peut alors débrancher certains appareils, avec les smart grids et donc avec Linky par exemple ce sera différent : le fournisseur coupera ou limitera lui-même la consommation électrique (dans la limite du contrat souscrit). Le consommateur devra alors déconnecter les appareils les plus gourmands et relancer le disjoncteur. »

L’un des points forts des smart grids : l’utilisation de l’énergie stockée

Stéphane Gautreau : « L’intérêt a long terme est de pouvoir adapter en temps réel les consommations par rapport aux nombreuses sources d’énergies disponibles : nucléaire (peu modulable), renouvelables (très variables selon conditions climatiques), et fossiles (centrales gaz ou charbon activables à volonté sur ordre). Et cela passe alors par la réduction de certaines consommations.
Il est par exemple prévu que les véhicules électriques qui sont branchés sur le réseau puissent l’alimenter grâce à leur batterie en période de forte consommation. D’ailleurs le leader du véhicule électrique, Tesla a annoncé qu’il allait mettre sur le marché des accumulateurs domestiques et professionnels pour stocker l’énergie. »

Des craintes pour notre vie privée ?

Stéphane Gautreau : « La CNIL a émis une alerte sur le fonctionnement de ces compteurs de nouvelle génération. En effet, avec la remontée des informations en temps réel sur la consommation énergétique des foyers, le fournisseur pourrait en déduire des informations sur la vie privée et être tenté de vendre ces informations à d’autres entreprises. Exemple : vous allumez la lumière plusieurs fois dans la nuit. On peut en déduire que vous êtes insomniaque et donc céder cette information à des professionnels des médecines douces notamment. Nous avons plus à craindre de ce big data que des menaces de piratage des installations ! »

« En résumé, le compteur intelligent est un bon début pour amorcer une démarche de transition énergétique mais sa conception ne permettra pas à tous de connaître en temps réel la consommation d’énergie, sauf à mettre la main au portefeuille. Il est regrettable que le suivi de la consommation ne soit pas accessible à tous gratuitement sur le compteur mais aussi sur son ordinateur comme c’est le cas avec la filiale d’EDF à Londres.
Pour moi c’est clairement une démarche de développement durable, mais la politique mise en place notamment par la conception du produit ne sert pas directement les intérêts immédiats du consommateur particulier, ce que l’on voudrait lui faire croire.
Il est de plus nécessaire que les données collectées sur les modes de consommation du client ne soient utilisées qu’avec son accord. »

L’expérience de Geredis en Deux Sèvres

En Deux-Sèvres, ERDF gère les installations électriques des grosses villes du département. Geredis gère celles des 301 communes rurales (regroupées au sein du Syndicat Intercommunal d’Energie des Deux-Sèvres) ce qui représente 150 000 points de livraison clients. Seolis fournit ensuite l’énergie.
Thierry BONET directeur du projet « compteurs évolués » pour Geredis nous explique : « Déjà, en 2012, un décret nous imposait de réfléchir à une feuille de route pour la mise en place d’équipements plus performants. Un nouveau décret issu de la loi sur la transition énergétique va nous imposer 90% de compteurs intelligents posés en 2022. Le déploiement devrait commencer à partir de mi-2017. Pour nous c’est un gros chantier. Si nous avions eu le choix, nous aurions remplacé petit à petit les compteurs par des produits de nouvelle génération. Là, nous allons devoir faire appel à des opérateurs indépendants formés et habilités.
Nous avons expérimenté ces nouveaux compteurs sur 400 installations dans le département. La priorité, pour nous, étant de mettre en place des équipements techniques fiables. Que les consommateurs puissent ensuite disposer (pour ceux qui n’en auraient pas) d’outils de suivi de consommation en temps réel, d’applications à valeur ajoutée sera l’affaire des fournisseurs d’électricité.

Cette démarche va générer peu de recrutements chez Geredis qui emploie actuellement 45 personnes [1].
Pour nous, cette démarche va dans le bon sens, un comptage fiable est à la base de notre activité. Nous combattons toutes les réticences notamment sur les ondes générées par ces nouveaux équipements. D’ailleurs j’ai pu assister à de nombreuses réunions préparatoires au niveau national et je peux dire que les contours ont été établis dans la concertation avec la CNIL, sous l’égide de notre autorité de contrôle : la CRE (Commission de régulation de l’énergie) et avec les associations de consommateurs.
Nous allons vivre une mutation importante de nos métiers. C’est le cas notamment pour les « releveurs de compteurs à pied », mais les professionnels sont prévenus depuis longtemps, ils pourront former leurs personnels à de nouvelles compétences. »

Propos recueillis par Cécilia Rochefort


[1L’effectif global du groupe Geredis + Seolis est de 340 personnes


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